Stromboli, l‘île-volcan

31 décembre. Départ d’Orly à 6h, il fait froid et gris. Après deux avions et deux bus, nous arrivons pile à l’heure pour prendre le dernier Aliscaf de la journée à Milazzo, c’est une sorte de bateau avec des pattes. Quand la mer est calme, il surfe sur des sortes de skis nautiques, ce qui réduit considérablement le temps du trajet. Nous sommes très peu de passagers. Les fenêtres ne s’ouvrent pas, l’air est climatisé, c’est dommage, ça me donne un peu mal au cœur.

La nuit tombe pendant la traversée. Il est 20h quand le bateau accoste sur l’île de Stromboli. Il fait nuit noire, un projecteur puissant éclaire la jetée. Il fait bon. On a besoin de se dégourdir les jambes, on décide de marcher pour aller à l’auberge. La ville est petite. On s’engouffre dans une petite rue sombre. Quelques touristes et locaux rentrent chez eux. La ville est faite de rues étroites, les habitants s’y déplacent avec des sortes de triporteurs ou des voitures de golf qui font pile la largeur des rues. Il n’y a quasiment pas d’éclairage public. Même, la place de l’église est à peine éclairée. La lune n’est pas encore levée, la ville s’endort déjà. On se demande où les gens fêteront le nouvel an.

On trouve l’auberge La Lampara, tant bien que mal, à la lumière de nos téléphones portables. Angelo, notre contact sur l’île, nous accueille. Ça m’amuse parce que je m’étais imaginée trouver un vieux papy italien, et c’est un homme d’âge mûr avec des vêtements techniques qui nous accueille. Il revient tout juste d’une excursion sur le Stromboli avec sa femme. Il nous raconte dans un français aux couleurs italiennes que ces jours-ci les explosions sont très fortes et que l’on ne pourra pas monter jusqu’au sommet, mais que l’on pourra quand même profiter des explosions. J’ai hâte d’être demain pour voir le volcan. La journée a été longue. Les vitres et les portes de la chambre vibrent à chaque explosion.

Le lendemain, Angelo nous indique, qu’il est interdit aux touristes de s’aventurer seuls au-dessus de 400 mètre et qu’aujourd’hui la guide est malade. Nous devons attendre le jour suivant pour monter accompagnés. Après un tour sur la plage de sable noir, on décide de grimper quand même jusqu’à cette première limite, voir les explosions.

Les chemins sont pentus. On a vite chaud. Le temps est celui d’une journée de printemps ensoleillée. La ville se fait de plus en plus petite, puis, nous la perdons de vue. Dans la mer calme et bleue, on voit la petite île Stromboliccho. C’est un rocher vertical posé à une centaine de mètres de la côte, seuls les oiseaux semblent y avoir accès. On se demande alors comment est arrivé ce petit phare blanc immaculé qui trône sur le toit de l’îlot. Le Stromboliccho est probablement l’une des plus antiques manifestations volcaniques du Stromboli. La source du volcan se déplace avec le temps, ce qui créait de nouveaux cratères au cours des siècles.

Après quelques heures de marche, on commence à entendre gronder le Stromboli. Le chemin est de plus en plus raide et inconfortable. Le soleil commence sa descente. Et tout d’un coup, sur l’arrête d’une montagne… on aperçoit une explosion rouge vif monter vers le ciel, accompagnée d’un craquement sourd. Puis l’explosion laisse place à un nuage gris que le vent éloigne lentement, quelques projectiles encore rouges dévalent la pente de cendres et disparaissent dans la mer.

Le calme revient. On aperçoit au loin d’autres îles de l’archipel des Eoliennes, Salina, Lipari, Panarea et un bout du Vulcano. Le ciel bleu-rose et les nuages blancs troués par le soleil font contraste avec le flanc noir du volcan. Je pose mon regard à l’endroit où a eu lieu l’explosion. Et j’attends… Rien n’indique quand aura lieu la suivante. L’excitation de revoir ce spectacle se mélange à la frustration de l’attente.

Un couple de marcheurs passe à côté de nous, il monte vers le sommet. Ils ont l’air de connaître le chemin. On hésite à les suivre. La lumière baisse de plus en plus. L’envie d’en voir plus est forte. On décide de continuer. Le temps de la réflexion, le couple est déjà loin. Sans prévenir, le Stromboli explose de temps à autres, pendant ces quelques secondes le temps est suspendu. C’est émouvant d’assister à un tel spectacle. Pendant ces instants je ressens que je suis sur quelque chose de vivant et d’immense. La nuit tombe et le chemin n’est pas vraiment facile à trouver. On commence à monter sur de la roche, c’est raide, seuls des marquages blancs nous indiques la direction. De chaque côté du chemin il y a de grandes pentes rocheuses et sableuses. Je n’ai pas mis mes chaussures de marches aujourd’hui et celles que j’ai n’accrochent pas trop sur la roche. On y voit de moins en moins et nous n’avons qu’une lampe frontale pour deux. Il est difficile de trouver des points de repère utiles pour le retour. C’est dangereux, on ne connaît pas assez ce qui nous attend. La décision de ne pas continuer de monter est dure à prendre et frustrante, car l’envie de voir le volcan de près est de l’ordre du pulsionnel.

Avec la nuit le froid est arrivé. On s’installe regarder les explosions de là où l’on est. L’intervalle entre les explosions est en moyenne de vingt minutes. L’intensité aussi est très variable. On essaye de prendre des photos. J’apprécie d’avoir emporté manteau, gants et bonnet. La lune s’est levée, elle nous accompagne sur le chemin du retour. Vite on ne voit plus le Stromboli, mais on entend encore ses grondements. Parfois la mer rougit en réaction à une grosse explosion.

L’avantage de venir découvrir le Stromboli en plein hiver, c’est d’être hors-saison touristique. L’inconvénient c’est qu’il n’a que deux restaurants ouverts et une supérette. Tous trois ont des horaires que nous avons du mal à appréhender, ce qui fait que nous nous trouvons souvent devant porte close. De plus, l’absence de concurrence des restaurants fait que la qualité des repas n’est pas au menu. Nous découvrirons une autre fois les plaisirs culinaires de la Sicile. Le village est composé de maisons blanches cubiques de style méditerranéen, les citronniers et les orangers sont pleins de fruits. En se promenant dans la ville, on s’amuse à chercher la maison du personnage d’Ingrid Bergman dans le film Stromboli de Rossellini. On compare les changements de l’île depuis le tournage, 1949. Le village rustique, noir et blanc de pécheurs a laissé place à des installations touristiques colorées. Tours de bateau et ascension du volcan sont proposées aux touristes. Plusieurs fois par jours des Aliscafs vont et viennent de Sicile ou des autres îles éoliennes. Peu de gens maintenant vivent là toute l’année.

Le deuxième jour, Angelo, nous indique qu’un groupe part en début d’après-midi pour les cratères. On rejoint le point de ralliement derrière l’Eglise. Avec nous il y a un couple de Hollandais, un couple d’italiens avec leur fille de 10 ans, un couple de français avec un fils d’une vingtaine d’année. Et au final, c’est Angelo qui sera notre guide. On commence à monter. L’allure du groupe est plutôt lente. La femme française très vite se plaint parce que la montée est trop dure, elle s’arrête souvent. Tandis que, la petite fille de 10 ans monte avec une facilité déconcertante les chemins pentus, on a l’impression qu’elle ne fournit aucun effort. Ses parents, eux trainent en queue de groupe et profitent des paysages. Après peut-être deux heures de montée on commence à entendre les explosions. La française ronchon, mais qui au final est toujours en tête de groupe, commence à dire que ça lui fait peur. Pour la motiver, je lui dis que la veille on a vu des explosions et que ça valait le coup de continuer, je lui promets qu’elle ne sera pas déçue du spectacle une fois en haut. Elle continue de marcher en ronchonnant. Son mari et son fils, peu compréhensifs, se moquent d’elle. A partir d’un moment, la végétation disparait, le sol est constitué de roche et de sable, le paysage est lunaire. Angelo, de son pas lent et régulier, ouvre le chemin. Durant la montée il nous raconte qu’il monte en moyenne une fois par jour au sommet du Stromboli ou sur l’Etna (volcan actif situé en Sicile), il lui arrive parfois de faire plusieurs montées dans une même journée. Au sol, il n’y a pas de sentier. On aperçoit à peine les traces de pas de groupe devant nous. On croit arriver, mais le sommet recule au fur et à mesure que l’on monte. Le son des explosions rythme notre montée et ravive à chaque fois l’excitation d’arriver au cratère.

Le jour commence à tomber. Après plus de quatre heures d’ascension, et 926 mètres de dénivelé nous arrivons enfin au sommet. On s’arrête une première fois, sur le site ont été construit des bunkers en béton pour se protéger de projectiles transportés dans les airs les jours de grands vents. On aperçoit un grand cratère, Angelo nous dit d’attendre quelques instants, avec l’expérience il sait deviner quand les cratères vont cracher. Et là, assez rapidement, le volcan crache une énorme explosion qui dépasse tout ce qu’on a vu la veille. Cette fois, on est tout près. C’est magnifique ! Avec la lumière qui tombe la couleur de l’explosion est impressionnante, on est tous excités de ce qu’on vient de voir… et on n’a encore rien vu. On se dirige ensuite vers une deuxième zone d’observation. On se retrouve alors sur une arrête de montagne, on surplombe cinq cratères rouges et fumants. Cinq marmites de sorcières bouillent sous nos yeux. Lequel explosera en premier ? Il y a un réel plaisir à regarder la lave des cratères bouillir et à attendre les explosions. Il en a de toutes tailles, parfois même, elles arrivent par deux. J’essaie tant bien que mal d’en capturer avec mon appareil photo. Le temps passe très vite.

A peine une heure après notre arrivée, Angelo nous dit que certaines personnes ont froid et qu’elles veulent rentrer. Je les maudis d’écourter ce moment. Surtout qu’avant le départ on a prévenu qu’il fait très froid en haut à cause de la nuit, du vent et de l’altitude. Je me dis que ça doit être encore Madame Ronchon. On regarde une dernière explosion et on repart. Je trouve que c’est du gâchis de se donner tant de mal à monter, pour rester si peu observer le spectacle. On descend par un chemin diffèrent de l’allée, on commence par une pente de cendres. La sensation est amusante, le sol est très mou, il faut marcher sur le talon, courir quasiment et ne pas s’arrêter, car notre passage provoque des petits éboulements. On a un peu l’impression de skier. Après la pente de cendre on s’arrête tous pour vider nos chaussures remplies de cendres. J’évoque ma frustration d’être partie trop vite. À mon grand étonnement, Madame Ronchon me dit qu’elle a vraiment adoré le spectacle et qu’elle ne regrette pas d’être montée, et qu’elle serait bien restée elle aussi plus longtemps savourer quelques explosions supplémentaires. Je comprends ensuite que c’était son mari moqueur qui était à l’origine de la descente prématurée. Comme quoi…

En un battement de cils, ou presque, on s’est retrouvé en bas du Stromboli. La lune encore une fois s’était levée pour éclairer notre descente.